One Love, les lettres de Nas à ses potes incarcérés

‘One Love’ est sorti en 1994 et est tiré de l’album Illmatic. Dans ce morceau, Nas écrit des lettres à ses amis incarcérés afin de leur apporter du soutien à la fois psychologique et financier mais également de les renseigner sur la situation du ghetto.

Nas s’adresse à son ami encore incarcéré en lui donnant des nouvelles du ghetto, et demande à savoir la vie à l’intérieur de la prison, là où une partie de sa communauté a été transplantée. Nas le tient également informé de la naissance de son fils ainsi que de l’infidélité de sa femme :

Quoi de neuf mec ? Je sais que c’est difficile de faire ta peine
Quand les flics sont arrivés, tu aurais dû te glisser dans ma piaule
Tant pis, pas le temps de regarder en arrière, c’est fait
En plus, félicitations, tu sais que tu as un fils
J’ai entendu dire qu’il te ressemblait, pourquoi ta femme ne t’écrit-elle pas ?
Je lui ai dit qu’elle devrait te rendre visite, c’est là qu’elle s’est échauffée
Changeante, en parlant de ton comportement trop brutal
« Il ne m’a pas écouté, il râlait pendant que je lui disais des trucs »
J’ai dit : « Ouais », elle s’en fout, c’est aussi un serpent
Elle baise avec les négros de ce pseudo crew qui te déteste

Mais yo, devine qui s’est fait tirer dessus en pleine tête ?
La nièce de Jérôme, sur le chemin du retour de Jones Beach
Et le petit Rob vend de la drogue pour 10 cents
Il traîne avec de jeunes voyous qui portent tous des 9mm
Et la nuit est plus violente que jamais




Cormega est un ami de Nas, incarcéré pour vol à main armée. Lorsqu’il mentionne Herb, Ice et Bullet, il fait ainsi allusion subtilement à la marijuana, à la cocaïne et aux armes présentes dans le ghetto. Nas prend soin de son ami en lui envoyant régulièrement de l’argent afin qu’il survive en prison :

Qu’en est-il de Cormega ? Tu l’as vu ? Vous êtes tous ensemble ?
Si oui, alors retenez le fort, représentez au mieux
Passe mon bonjour à Herb, Ice et Bullet
J’ai laissé un billet de 50$ dans ton économat
Tu étais mon négro quand il a fallu faire face à la pression
One Love !

Nas s’adresse ici à un autre confrère emprisonné et le renseigne sur l’état des rues de New York qui restent inchangées depuis son incarcération. Il informe Born que son ancien compagnon de route s’est associé avec l’homme sur lequel il avait tiré dessus :

Cher Born, tu vas bientôt sortir, reste fort
À New York c’est toujours la même merde
Les camés qui traquent, les grandes gueules qui parlent
Attends, matte l’histoire d’hier quand je marchais
Le négro sur lequel tu as tiré l’année dernière a tenté de se ramener
Comme s’il voulait faire du mal
Sur ma mère, je l’ai entendu se la raconter
Et il vend de la drogue dans ton quartier
Ton pote lui a donné ton Glock
Et maintenant, ils roulent ensemble

Incarcéré à Riker’s Island, Born s’est fait transféré à Elmira depuis qu’il a assassiné un détenu. Cette prison étant hautement réputée pour l’agressivité de ceux qui y sont incarcérés, Nas conseille son ami de s’assagir. Lorsqu’il sera libéré, il prévoit de reprendre les rennes du quartier :

Mais j’ai entendu dire que tu avais tué un négro avec une lame tranchante pour un téléphone
T’étais sauvage à Riker’s Island, mais maintenant que t’es à Elmira
Tu ferais mieux de te détendre, parce que ces négros vont te foutre le feu
La dernière fois que tu as écrit, tu as dit qu’ils avaient essayé sous les douches
Mais garde le cap, quand tu rentreras à la maison, le quartier sera à nous
En réalité, tous ces négros jaloux connaissent le deal
Quand nous commencerons la révolution tout ce qu’ils feront sera de crier

J’ai donné à ta mère de l’argent pour des baskets, et je t’ai envoyé des films
Ton frère est en train de s’énerver à 4-Main, il m’a écrit
Il risque de gagner son procès, jusqu’à ce qu’il rentre à la maison, je jouerai la carte de la discrétion

Loyal et dévoué, Nas soutient la famille de Born en attendant sa libération :

Donc reste civilisé, le temps passe vite
Bien qu’incarcéré, ton esprit meurt
Je déteste quand ta mère pleure
Cela me donne envie de tuer, pour de vrai
J’ai même un masque et des gants pour tuer avec mon gun, mais One Love

Nas dénonce l’hypocrisie du système scolaire ainsi que les textes religieux qui véhiculent une fausse image de la réalité :

Parfois, je m’assois avec un sac rempli de marijuana
Mon esprit est dans un autre monde réfléchissant
« Comment pouvons-nous exister à travers les faits ? »
C’est écrit dans les manuels scolaires, les bibles, etc.
J’emmerde les cours à l’école, les mensonges me vexent encore plus

Nas ressent le besoin de s’évader pendant quelques jours en se coupant du monde extérieur afin de se recentrer sur l’essentiel via l’écriture et la marijuana :

Je suis donc le fantôme de mon quartier
Je prends mon stylo et mon bloc-notes pour le week-end
En fumant des joints pendant que je m’endors
Un séjour de deux jours, on peut dire que j’ai besoin de me retrouver seul
Pour me détendre la tête, pas de téléphone, j’ai laissé le 9mm à la maison

Nas révèle l’anxiété provoquée par le ghetto de part cet environnement hostile et agressif. La rue engendre souvent soit des troubles psychiques soit des folies meurtrières, laissant simplement deux sortes d’avenir sur le long terme: la prison ou l’internement psychiatrique :

Tu vois, les rues m’ont fait vivre un stress terrible
Jouer avec la rue fait enfermer un négro à Bellevue ou HDM (House of Detention for Men)
Se prenant des peines de huit à dix ans
Un avenir dans une prison hautement sécurisée est sinistre

Nas prend le temps d’alerter un petit jeune du quartier sur les dangers de la rues en voyant son attitude confiante. Bien que ce dernier souhaite gagner le respect en tuant de sang-froid ses ennemis, Nas le prévient du danger qu’il encourt, autrement dit la prison ou les règlements de compte sanglants :

On chillait sur ces bancs
Où il vendait du crack
J’ai pris le joint quand il l’a passé, ce petit bâtard
Il m’a tenu en haleine et s’est mis à grave se la raconter
J’ai dû lui faire la leçon, lui dire de ne pas se laisser berner par les négros
Parce que quand le pistolet explose
C’est le plus cool qui se fait assassiner




Lorsqu’un homme se fait abattre, de nombreux dégâts psychologiques surgissent dans l’entourage, par conséquent le crime ne doit pas être banalisé. Il tient un discours moralisateur envers cet enfant de 12 ans qui souhaite vivre tel un gangster plutôt que de vouloir s’élever vers un état de  sagesse et de réussite en essayant d’échapper aux règles meurtrières instaurées dans le ghetto :

Pas de chance quand les négros sont tués, les familles sont détruites
J’aurais pu attraper ton gars, mais je n’ai pas regardé quand tu as tiré
Les erreurs se produisent, alors sois attentif, ne t’énerve pas
Devant la foule, attrape-le seul, fais saigner le gars qu’il faut
Le rire du jeune était glacial alors qu’il parlait en s’en foutant
Seulement 12 ans, essayant de me dire qu’il aimait mon style
Puis je me suis levé, en essuyant la cendre de mon joint sur mes vêtements
Puis j’étais figé, juste la fumée de mon joint sortait de mon nez
Et j’ai dit à mon petit gars que je suis un fantôme
J’ai laissé des bijoux (joyaux de la sagesse) dans son crâne qu’il peut vendre s’il le souhaite
Paroles de sagesse de Nas : essaye de t’élever au-dessus
Garde un oeil sur Jake, Shorty Wop, one love

Q-Tip, le producteur de ‘One Love’ et membre de ATCQ a confié lors d’une interview : « Dès que vous avez entendu Nas pour la première fois, vous saviez qu’il était excellent. Quand je l’ai entendu rimer pour la première fois, je l’ai tout de suite su. Tout le monde savait qu’il était bon. Mais j’ai dit à Faith : « Vous avez quelqu’un de spécial. » Parce qu’il a de la vulnérabilité dans ses rimes. Beaucoup de négros qui rappent n’ont pas cette vulnérabilité. Il la garde en réserve, mais il a beaucoup de profondeur. Il peut la rendre gangsta, il peut la rendre éducative, il peut la rendre réfléchie. Il peut vous dire qu’il est le meilleur, et il peut vous dire quand il fait de la merde. Et c’est ce qui rend Nas attachant pour tout le monde. »

 

De quoi ça parle? est la nouvelle section d’Adramatic Hip-Hop dans laquelle vous retrouverez quotidiennement une analyse textuelle détaillée d’un son ainsi que la traduction de ses passages clés afin d’en extraire l’histoire qu’il raconte.

Jeanne N
Jeanne N
Passionnée de la culture hip-hop depuis des années, je suis une grande fan de gangsta rap notamment N.W.A, Ice-T, 2Pac ainsi que d’artistes new-yorkais tels que Notorious B.I.G, Mobb Deep, Nas ou encore Public Enemy.