Alors que le rap traverse une période d’évolution où les compétences techniques des rappeurs ne sont plus pertinentes, il est plus que jamais primordial, afin de préserver ses valeurs, de séparer le hip-hop d’antan de celui d’aujourd’hui.
Des années 90 à la fin des années 2000, le genre de musique rap se composait généralement d’artistes obsédés par la présentation de leurs flows innovants, de leurs schémas de rimes complexes et de leurs métaphores. Pour le rap, il s’agissait de savoir qui était le meilleur dans cette forme d’art. Il s’agissait de savoir si vos paroles étaient géniales. Est-ce qu’elles disent quelque chose ? Avez-vous des bars qui nous font repasser la même ligne 2 à 4 fois jusqu’à ce qu’on ait compris la punchline ? Voilà ce qu’était l’essence du rap. Il s’agissait de rappeurs vraiment doués pour le rap…. du moins c’est ce que l’on ressentait.
Aujourd’hui, les choses ont changé. Les artistes tels que Nas, Eminem, Black Thought, Royce Da 59, Lupe Fiasco, Talib Kweli et d’autres qui ont porté le flambeau du lyrisme au cours des deux dernières décennies ont dû voir ce flambeau bien-aimé s’éteindre, tandis que la nouvelle vague d’artistes de la fin des années 2010 est en train de donner une nouvelle direction à cette forme d’art. Quelle est cette nouvelle direction, me direz-vous ?
Le rap fait place à la mélodie
Il s’agit d’une mélodie, d’un chant, d’un crooning, appelez ça comme vous voulez, mais en gros, il s’agit d’abandonner l’approche typique du flow du rap pour un flow plus mélodique, ce qui amène les fans pures et dures comme moi à se demander si les rappeurs rappent vraiment encore ?
Il est vrai que plusieurs nouveaux rappeurs tels que Cordae, Token, K.A.A.N et J.I.D portent encore un peu le flambeau du lyrisme. Cependant, nous avons peut-être atteint un point où la mélodie l’emporte sur le texte dans le rap moderne.
Disons-le ainsi. Au cours des années 90-2000, des albums tels que The Miseducation of Lauryn Hill, The Love Below d’Andre 3K et 808s & Heartbreaks de Kanye West étaient considérés comme excentriques et novateurs par la communauté hip-hop.
C’est parce que les gens n’étaient pas habitués à écouter un album où le rappeur chantait plus qu’il ne rappait.
De nos jours, chaque fois qu’un nouveau rappeur sort un album dans lequel il ne fait que rapper, on a presque la même réaction que lorsqu’on voit un journal ou un tourne-disque, genre « Wow… Ca existe encore. »
Les temps changent.
Différents types de rappeurs mélodiques
Il faut préciser qu’en matière de rap moderne, il existe différents types de rappeurs mélodiques.
Celui qui a le talent pour atténuer les limites entre le rap et la mélodie.
Prenez Lil Baby par exemple. Dans son tube introspectif de 2020, « Emotionally Scarred ».
Vous n’auriez pas tort de dire qu’il rappe. Cependant, vous n’auriez pas tort non plus de dire qu’il utilise un son mélodique pour délivrer ses lignes. Il rappe, mais pas vraiment, il est à cheval sur la frontière entre le chant et le rap. C’est un numéro d’équilibriste.
Le deuxième type de rappeur mélodique est celui qui s’engage pleinement dans la mélodie. Prenez Roddy Ricch par exemple.
Roddy est l’un des nouveaux rappeurs qui se fait un nom en poursuivant ce qui était déjà assez peu conventionnel dans le hip-hop, à savoir la tentative manifeste de chanter tout au long d’une chanson.
Honnêtement, la communauté hip-hop est très favorable à ce son et pourquoi pas ? C’est un son vraiment accrocheur et addictif qui vous pousse à chanter. C’est incontournable quand c’est bien fait.
Mais ce n’est pas du rap
Mais essentiellement, c’est tout ce que c’est… accrocheur et addictif. Ce n’est pas lyrique ou complexe, ce n’est pas plein de punchlines compliquées et de syllabes, c’est surtout de la mélodie. Il semble que les rappeurs d’aujourd’hui aient décidé de s’appuyer sur une métrique différente de celle utilisée dans les années 90 à 2010 pour mesurer le succès musical.
En gros, je me demande si la chanson ou l’album est suffisamment accrocheur pour que je le place sur ma playlist quotidienne. Est-ce que j’aimerais l’écouter en boîte de nuit ou dans la voiture avec mes amies ? Cela ne veut pas dire que ce critère n’a jamais été un critère pour juger objectivement un artiste de rap, mais il n’a certainement jamais été le seul.
« Je viens de là où les n***** débattent toute la journée de qui est le meilleur MC, Biggie, Jay-Z ou Nas? »
« Where I’m From » est extrait de l’album « In My Lifetime Vol. 1 » de Jay-Z, sorti en 1997, pendant l’âge d’or du rap. Jay décrivait les fréquentes conversations chez le coiffeur pour savoir qui était le meilleur rappeur, à une époque où le rap n’était pas jugé principalement sur sa valeur de réécoute. Ils avaient le flow, les punchlines, les jeux de mots, la capacité à raconter des histoires et la capacité technique à faire rimer des mots qui ne sont même pas censés rimer. Cela a donné lieu à des débats vraiment intéressants, passionnés et parfois animés pour savoir qui était le meilleur rappeur.
Racines détournées
Jay-Z dira dans une interview: « Le fait que les gens ne se contentent pas de s’asseoir et d’écouter la musique témoigne de la profondeur du hip-hop. Ils doivent la décomposer, décortiquer les paroles et débattre de cette merde »
C’est ce qui a fait d’eux des rappeurs ! Alors, en tant que fan de rap d’aujourd’hui qui pourrait lire ceci, demandez-vous. Ce que Jay-Z disait est-il une tradition dépassée dans le monde du hip-hop, ou est-ce toujours d’actualité ? Le rap ne va pas forcément dans la mauvaise direction, surtout que dans l’underground, il reste des rappeurs purs et durs, mais il vaut la peine de réfléchir au détournement du rap de ses racines dans le mainstream.