De quoi ça parle? est la nouvelle section d’Adramatic Hip-Hop dans laquelle vous retrouverez quotidiennement une analyse textuelle détaillée d’un son ainsi que la traduction de ses passages clés afin d’en extraire l’histoire qu’il raconte.
‘I Gave You Power’ est sorti en 1996 et est tiré de l’album ‘It Was Written’. Dans ce morceau, Nas se personnifie en tant qu’arme à feu en la rendant vivante et dotée d’une conscience. Il se met dans la peau de ce pistolet en décrivant ainsi ce qu’il a vécu.
Dans l’intro, Nas parle des utilisateurs d’armes comme de personnes inconscientes qui utilisent un flingue dans toutes les situations. L’arme se sent responsable de son pouvoir qui peut engendrer la mort, mais refuse cette responsabilité.
Regardez comment ces enfoirés utilisent un négro
Ils m’utilisent pour tout ce qu’ils veulent
Je n’ai rien le droit de dire
Vas-y attrape moi et fais ce que tu veux
Vends-moi, jettes moi
Les négros n’en ont rien à foutre d’un gars comme moi, pas vrai?
Comme si j’étais un flingue, merde
C’est comme si j’étais une putain d’arme
Je ne peux pas croire cette merde
L’arme se rend compte que le but même de sa création est de tuer, c’est pourquoi elle est constamment cachée. Nas parle de cette arme comme si elle était en total désaccord avec son rôle et de son utilisation abusive. Emmenée n’importe où et n’importe quand, elle a pu voir l’atrocité des rues dans laquelle ses utilisateurs vivent.
J’ai vu des nuits froides et des jours sanglants
Ils m’attrapent et les balles fusent
Ils m’utilisent mal, alors je chante cette chanson depuis toujours
Mon corps est froid comme de l’acier
J’ai été fait pour tuer, c’est pourquoi ils me gardent caché
Sous les sièges de voiture, ils me font entrer en cachette dans les clubs
Entre les mains de voyous fous
Ils me nourrissent quand ils me chargent de munitions
Dix-sept précisément, une dans ma tête
On m’appelle Desert Eagle, pistolet semi-automatique avec du plomb
Je mesure 18 cm, je fais 2kg, j’ai traversé tellement de villes
De l’Ohio à Little Rock à Canarsie, la vie est dure
Battu et malmené, ils me dégainent
Je regarde les négros se disperser, me faisant tuer
Mais ce que je ressens n’a jamais eu d’importance
À force, même elle, succombe aux envies meurtrières. Elle espère au fond d’elle que le prochain utilisateur soit un professionnel qui puisse prendre soin d’elle.
Quand je suis vide, je suis silencieux, je me retrouve à avoir envie de tirer
Ma sécurité est brisée, les négros me mettent sur les étagères
Sous les lits, je supplie que le prochain soit un pro
Qui me gardera remplis de balles à tête creuse
Se sentant responsable du pouvoir qu’elle donne en blessant les gens, elle sait ainsi qu’elle facilite aux victimes leur ascension et leurs rage grandissante. Elle détient le pouvoir de faire changer un gars lambda en véritable gangster.
Comment me trouvez-vous maintenant ? Je fais blaow
C’est cette merde qui fait bouger les foules et qui rend chaque ghetto infecte
J’aurais pu emporter ton premier enfant
Je t’ai fait des cicatrices ou ai handicapé ton style
Je t’ai donné le pouvoir, je t’ai rendu sauvage
Nas utilise une métaphore pour l’utilisation du pistolet comme un symbole sexuel faisant référence au besoin de décalotter le pénis d’une personne non-circoncise afin qu’elle puisse avoir une érection. Autrement dit, la ressemblance d’un pénis est d’un pistolet passe par la forme phallique mais aussi dans le geste assez similaire, leur permettant d’être opérationnel. Nas n’est pas le premier à employer cette métaphore du pénis pour évoquer le pistolet.
Mon abdomen est le chargeur, le canon est mon sexe pas circoncis
Tire ma peau en arrière et arme moi
Je lâche tout quand ils me libèrent
Les résultats de ce qui arrive aux négros me choquent
C’est donc la seule à pouvoir effrayer les gangsters du ghetto mais également à donner de la force et de l’audace aux personnes utilisant une arme. Elle permet à n’importe qui de se sentir plus en sécurité lorsqu’il l’a détient.
Je vois des négros ensanglanté fuyant de peur en larmes
Ces soi-disant durs qui baissent les yeux devant moi, pendant des années
J’ai été utilisée pour des vols, donnant aux négros le courage de me suivre
Plaçant des gens dans des tombes, des funérailles ont eu lieu parce que j’ai été pulvérisé
Elle rencontre une autre arme qui est aussi fatiguée de l’utilisation qu’on en fait.
J’ai été placé sur une étagère, avec une grenade
J’ai rencontré un TEC démoli avec des chiffres sur sa poitrine qui disent
Cinq-deux-zéro-neuf-trois-huit-cinq et zéro
Son numéro de série avait été en partie effacé, espérant qu’un jour la police le placerait
Là d’où il vient, un nom ou une sorte de personne pour le réclamer
Fatigué d’assassiner, il a voulu être une arme ordinaire
L’arme décide enfin de trouver son indépendance et souhaite se détacher de cette violence sanguinaire.
Mais moi j’avais d’autres plans, la prochaine fois qu’il y’aura embrouille
Je m’enrayerai entre les mains de mon détenteur
Toujours sur l’étagère, elle raconte ce qu’elle voit autour d’elle.
Les semaines ont passé et je suis surprise
Toujours coincée dans l’étagère avec toutes les choses qu’un hors-la-loi cache
A côté de moi y’a des balles, deux gilets et un flingue
Il y a une grenade dans une boîte, et ce TEC qui n’arrêtait pas de pleurer
Parce qu’il n’a pas été nettoyé depuis un an, il est rouillé
Il est sur le point de tomber en morceaux à cause de sa carrière de meurtrier
Finalement, le détenteur de l’arme vient enfin la chercher pour commettre son méfait, c’est donc l’occasion où jamais pour que l’arme s’enraye.
Yo, j’entends quelqu’un entrer, ouvrir l’étagère
Ses yeux bouillonnaient, il disait que le moment était venu
J’ai senti sa paume trembler
Quelqu’un l’avait piétiné, sa tête lui faisait mal
Il m’a placée à hauteur de sa taille, c’est le moment que j’attendais
J’ai été créé pour que les noirs tuent les noirs
Ce sont des flingues comme moi qui tirent accidentellement et font que les négros deviennent des souvenirs
Mais cette fois, ça sera fait intentionnellement
Au moment où son propriétaire voit le gars qu’il veut tuer, il essaye de presser la détente mais elle résiste tant bien que mal.
Il m’a fait sortir, a vu le gars
Il m’a armé : « Tu te souviens de moi ?
Il a appuyé sur la gâchette mais j’ai tenu bon, c’était bizarre
Sachant que les négros l’attendaient en enfer
Il a pressé plus fort, je n’ai pas bougé, marre du sang
Marre des voyous, marre de la colère des mecs rancuniers
Incapable de tirer, son ennemi le tue sans aucune difficulté.
Ce que l’autre gars a fait a été de tirer
Un nouveau moi en meilleure forme, avant qu’il ne l’allume, il a mené les hostilités
Mon propriétaire est tombé sur le sol, sa perruque s’est détachée tellement vite
Je ne savais pas qu’il avait été touché, s’en était fini de lui
J’ai entendu blindés de négros, des négros qui courent, les flics qui arrivent
L’arme est donc enfin libre, mais ça ne dure que quelques secondes…
Maintenant, je suis heureux, jusqu’à ce que je sente que quelqu’un d’autre m’attrape
Merde !
Nas a parfaitement détaillé le pouvoir destructeur qu’une arme est ainsi capable de transmettre à n’importe quelle personne, principalement aux Etats-Unis où leur vente est autorisée librement. C’est cette chanson qui inspirera Tupac pour ‘Me and My Girlfriend’.
Dans une interview accordée à Complex, Nas, DJ Premier (qui a produit ce bijou), Steve Stoute et Tone (du duo de producteurs Trackmasters) racontaient l’élaboration de I Gave You Power:
Nas: J’étais entouré de beaucoup de flingues à l’époque. Il y avait des flingues où je dormais, dans ma voiture, chez moi, sur moi, sur mes potes. C’est dingue de penser à ça aujourd’hui, mais c’était ma réalité. C’était dans mon esprit 24/7.
Steve Stoute: Mon plus gros travail à cette époque était d’essayer de faire venir Nas et Premier en studio. Ils ne venaient jamais en studio. C’était toujours un casse tête d’essayer de faire venir Nas et Premier en studio ensemble à cause de leur emploi du temps, ou parce que Premier n’aimait pas le son. Les mettre tous les deux dans la même pièce c’était comme essayer de mettre un collier à une abeille.
DJ Premier: Je revenais d’une tournée avec Gang Starr et ensuite je retournais directement au Japon. Je n’avais pas eu le temps de faire d’autres instrus pour It Was Written. Mais Nas a dit: ‘Je veux faire un son comme si j’étais un flingue.’
On a commencé à réfléchir, essayer de voir ce qu’on allait faire et on a finalement trouvé. Il a dit: ‘Peut-être que je devrais faire une interlude où je laisse tomber un flingue et quelqu’un d’autre le trouve.’ J’ai dit: ‘Au lieu de faire ressortir l’agressivité, fais ressortir la tristesse.’
Steve Stoute: Je n’étais pas en studio avec eux parce que ces deux gars travaillent super bien ensemble. Je suis revenu et ils m’ont fait écouté I Gave You Power et je ne pouvais pas y croire.
Il y avait seulement une cassette et je l’ai volé pour l’écouter dans ma voiture. D’habitude Nas s’en foutait mais il aimait tellement la chanson qu’il m’a appelé et m’a demandé: ‘Où t’as foutu ma cassette?’ Je suis retourné dans le Queens pour la lui rendre.
Tone: J’ai toujours voulu enlever la partie du son où il dit: ‘It’s like i’m a gun’. Je ne voulais pas qu’il révèle ça.
Nas: J’ai galéré à penser que les gens ne comprendraient pas le son. J’ai sous estimé mon public. On me disait: ‘Ils comprendront.’ Et je répondais: ‘Non, ils ne vont pas savoir.’ Donc j’ai gardé cette partie.
Tone: Parfois Nas se met en mode où il ne veut pas que tu changes quoi que ce soit. On était tellement loin dans l’album, c’était une des dernières chansons qu’on a enregistrées, et il se sentait tellement bien il a dit: ‘Yo, laisse tout comme c’est.’