A travers sa musique émanant de ses propres douleurs, DMX nous a donné le sentiment d’être invincibles. Et si ses démons l’ont finalement emporté, sa musique continuera de nous pousser à persévérer dans nos combats personnels.
L’expérience d’écouter un morceau de DMX est exaltante et viscérale. L’âpreté de sa voix se répercute sur votre colonne vertébrale. Le rythme cadencé de son flow de mitrailleuse fait trembler vos os. L’énergie de sa présence vocale enflamme votre système nerveux telle une piqûre d’adrénaline, qu’il aboie des menaces, qu’il explore les profondeurs les plus sombres de son âme, ou qu’il foute le feu en boite de nuit.
Dans la limite des quatre minutes d’une chanson, DMX est une force indestructible qui détruit tous les obstacles, concurrents ou démons intérieurs qui trainent sur son chemin. Et nous nous trouvons là, avec lui.
Une époque d’innocence
Alors que la musique de DMX était l’une des sonorités incontournables de la période de transition du hip-hop suite à son âge d’or à la fin des années 90 et au début des années 2000, le sentiment qu’il nous transmettait était un retour à une époque antérieure, plus simple.
Malgré la noirceur et la violence de bon nombre de ses textes, le feeling qu’il nous communiquait nous faisait revenir à une époque d’innocence. C’est le sentiment que nous avons eu lorsque LL Cool J a découpé les notes de guitare de « Rock the Bells » en proclamant son intention de « se battre contre n’importe qui, je me fiche de qui le dit ». Le sentiment que nous avons eu quand Chuck D a hurlé « the rhythm, the rebel ». Et le sentiment qui nous a traversé lorsque N.W.A nous a fait savoir que « les vrais ne meurent pas », et nous les avons crus, de toutes les fibres de notre corps.
Nous sommes tombés amoureux du hip-hop parce que nos super-héros du rap nous ont imprégné de leurs pouvoirs, phrase après phrase. Ils nous ont donné un pouvoir, transformant les impuissants – que ce soit en raison de leur race, de leur statut économique, ou simplement parce qu’ils étaient jeunes – en puissants. Avec leur instru dans notre cœur, leur flow dans nos pas et leur sagesse dans notre esprit, nous pouvions conquérir le monde. Et nous l’avons fait. Les années 90 ont récolté les fruits de nos triomphes : la première génération de bébés hip-hop est entrée dans l’âge adulte, enfonçant les portes de toutes les enclaves de la société, du sport à la mode en passant par la politique et l’université.
Retour sur terre
En grandissant, nous avons aussi tendance à nous adoucir, et le hip-hop ne fait pas exception. Des morceaux plus lents et plus sophistiqués sur le plan musical se prêtent à des rimes complexes et à des conversations mesurées. Le cérébral remplace le viscéral, les rappeurs explorant les nuances de la société, des relations et de l’art lui-même dans des couplets soigneusement construits. Au mieux, c’était hypnotisant ; c’était l’une des meilleures musiques que le genre ait produites. Mais la force brute, l’agression de l’instru et les paroles hardcore ont souvent été noyée dans l’innovation.
Il est difficile de se sentir invincible en écoutant une chanson qui évoque la mort de ses potes ou qui se languit de la fille qui vous échappe sans cesse. Sans oublier que nous avons assisté à la mort violente de deux des plus grandes légendes du hip-hop, tandis qu’une autre succombait du sida. Apparemment, N.W.A. avait tort. Non seulement les vrais pouvaient mourir, mais ils mouraient à un rythme soudain et régulier. Alors que le hip-hop avait insufflé à une génération un sentiment d’intrépidité, il nous obligeait soudainement à affronter notre propre mortalité.
DMX débarque
DMX a fait irruption dans le chagrin qui a suivi les meurtres de Tupac et Biggie avec la force d’un missile sol-air. Son premier single, « Get at Me Dog« , ne ressemble en rien à ce qui passait à la radio à l’époque. Le morceau était nerveux, agressif et instable. Mais c’est la voix qui vous faisait accrocher. Dès que vous l’avez entendue pour la première fois, à mi-chemin entre le cri du rebelle et le grognement féroce du chien, vous vous êtes levés de votre siège, qu’il s’agisse du tabouret d’une boîte de nuit, du canapé d’un salon ou du bureau d’une société de comptabilité. C’était une bagarre de bar sur une instru, et c’était exactement la catharsis dont nous ne savions alors pas que nous avions besoin.
L’album qui a suivi, It’s Dark and Hell is Hot, a été incontournable pendant la majeure partie de l’année 1998. Un exploit herculéen à la fin d’une époque marquée par les rivalités entre les côtes. Bien qu’il soit indubitablement new-yorkais dans sa production, l’album s’est connecté grâce à DMX. Son côté brut, sa puissance, son agressivité ont touché quelque chose d’universel. Il a ouvert les vannes pour que nous puissions nous défouler à nouveau après un an et demi de clips remplis de costumes brillants et de secouages de fesses. Grâce à lui, nous étions à nouveau invincibles.
Un combat permanent
Mais l’aura d’invincibilité de DMX était différente de celle des précédents super-héros du rap. Son pouvoir ne venait pas de la conquête, mais du combat lui-même. Ce combat était permanent et bien réel. Alors que 1998 touche à sa fin, il surprend le monde en sortant Flesh of My Flesh, Blood of My Blood, son deuxième album en huit mois. Le single principal, « Slippin‘ », est encore plus surprenant. Il s’agit d’une plongée dans le passé tumultueux de DMX et dans son combat permanent contre la dépression. Malgré le tempo lent et l’esthétique mélancolique du morceau, la voix de DMX est plus intense que jamais et il nous entraîne dans une lutte plus déchirante que n’importe quelle battle de rap ou bagarre de rue. La chanson ne se termine pas par un triomphe, mais plutôt par la résolution de continuer à se battre.
C’est cette combinaison d’honnêteté pure et de résilience provocatrice qui a permis au public de rester captivé par DMX bien au-delà de ses années de domination dans les charts. Nous savions qu’il n’était pas parfait. Nous savions qu’il était enclin à rechuter. Mais il n’a jamais cessé de se battre.
Finalement, DMX n’était pas invincible. Les mêmes démons qu’il a combattus pendant des décennies l’ont finalement emporté à l’âge de 50 ans. Mais il laisse derrière lui un catalogue exceptionnel de musiques intemporelles, un phare de lumière qui brille à travers les ténèbres qui l’ont finalement englouti. Sa musique continuera sans aucun doute à être la bande-son de la combativité pour les générations futures, leur permettant d’expérimenter ce sentiment d’invincibilité, même si ce n’est que pour un moment furtif.
Joyeux Anniversaire X.