Au coeur de New York avec Talib Kweli, Mos Def et Common

Analyse du classique Respiration de Black Star et Common et traduction des meilleurs passages.

Black Star, le duo Hip-Hop composé de Talib Kweli et Mos Def, sort le titre Respiration, issu de l’album du nom du groupe, en 1999, en featuring avec le rappeur Common.

Dans un clip en noir et blanc, Mos Def, Talib Kweli et Common rappent à tour de rôle sur la ville de New York, une mégapole à la fois belle et dangereuse. New York, ici personnifié à plusieurs reprises, est aussi un haut lieu du rap de la côte est.

 

Ecoutez Respiration de Mos Def, Talib Kweli (Black Star) et Common ci-dessous :

 

/!\ Traduire une chanson de rap américain avec des jeux de mots et références est, et sera toujours, une tâche ardue. Nous avons tenté de faire de notre mieux mais comme souvent, certains passages traduits peuvent ne pas être très compréhensibles. Si vous comprenez l’anglais à la lecture, nous vous conseillons de vous en tenir aux paroles en version originale.

 

Mos Def

La nouvelle lune est apparue haute dans la couronne de la métropole
Elle brillait, genre « Qui se trouve au sommet ? »
Les gens s’agitent, se disputent et se bousculent
Les gangstas de Gotham se livrent à une énorme activité
Je me démène avec des mots et des idées
Mes oreilles se dressent, cherchant ce qui va transmettre
Les scribes peuvent s’appliquer à la transcription
Ce n’est pas le moment où l’habituel est convenable
La soirée est bien vivante, décrivons l’impénétrable, l’indiscutable

Mos Def rappe dans un flow fluide et structuré comme à son habitude. L’effervescence de New York, qu’il décrit comme une ville très animée mais aussi dangereuse entre guerre des gangs et ambiance sombre à la Gotham, est renforcée par la cadence de son flow.

La musique est un moyen pour lui de s’élever et de sortir de la galère à l’instar de la hauteur de la lune qu’il désigne. Son seul combat, c’est celui des mots et des idées : « I’m wrestlin’ with words and ideas » plutôt que celui des armes.

 

Nous sommes New York, les narcotiques
Drapés de métal et de fibres optiques
Où des mercenaires sont payés pour échanger des tuyaux boursiers chauds contre des profits
Des criminels pickpockets assoiffés
Des coups de poing durs sur les aiguilles des montres de la classe ouvrière
Les gratte-ciel sont des colosses, le coût de la vie est grotesque
Reste en vie, tu payes ou tu meurs, pas d’option
Pas de Batman ni de Robin

Mos Def poursuit sur sa lancée et présente New York comme une ville qui réunit toutes les possibilités et toutes les populations : mercenaires, criminels, classes populaires. La ville du tout ou rien :  » Stay alive, you pay or die, no options.  » Et contrairement à Batman, il n’y a personne pour les sauver.

Mos Def rejette les conséquences négatives du capitalisme malgré la beauté indéniable de la ville. Dixit les paroles de Mos Def qui parle de constructions innovantes comme les immenses gratte-ciels de la ville et l’utilisation de la fibre optique. Mais en contrepartie il rappe aussi sur une criminalité sans limites qui sera un motif récurrent dans toute la chanson. Mos Def continue de rapper avec son allitération en ‘s’ du début, ce qui donne encore un peu plus de musicalité et de force au son.

 

Je n’arrive pas à faire la différence entre les flics et les voleurs
Ils sont tous partenaires, ils sont tous sans coeur, sans conscience
Les ruelles restent sombres, les cœurs des non-croyants restent endurcis
Mes serres d’aigle restent aiguisées, comme les lumières de la ville
Soit tu fais ton chemin, soit tu restes à sangloter

Toujours en train de dénoncer les limites de la ville, il exerce une véritable description en demi-teinte. Il évite l’obscurantisme en montrant que la réalité est plus nuancée. Pour lui, voleurs et policiers ont tous leur part de responsabilité. La lumière de la ville et l’ardeur de ces habitants contraste avec la pénombre qui y règne.

 

La pomme brillante est meurtrie, mais douce
Et si tu choisis de la manger, tu pourrais perdre tes dents
De nombreuses équipes se retirent
Les nouvelles du soir répètent qui a été abattu et enfermé
Mon récit se développe pour expliquer cette existence
Au milieu des lumières du port qui restent au loin

Cette lumière est perpétuellement en concurrence avec le côté sombre de la chanson. Les informations sont plombantes dans l’éblouissante ville de New York (The Big Apple). Une pomme qu’on peut manger (= se faire de l’argent), mais avec le risque de perdre ses dents (= se faire frapper).

 

Talib Kweli

Respiration profonde de la ville, assis sur des marches de merde
Nous nous abaissons à de nouvelles bassesses, l’enfer a gelé la nuit où la ville dormait
La Bête (la police) se faufile dans les jungles de béton
Communiquant les uns avec les autres
Et les oiseaux du ghetto où les eaux tombent
Des bouches d’incendie aux caniveaux
La Bête marche sur le rythme des coups, mais les instrus, c’est nous qui les faisons

Talib Kweli est le deuxième à rapper et perpétue la description d’une New York froide effectuée par son acolyte. Il évoque les violences policières. Il reprend le motif de la ville et de la nature qui forment un tout. L’expression « concrete jungles » décrit bien la jungle urbaine que constitue New York.

 

On jouait l’un contre l’autre comme des marionnettes, en jurant qu’on avait de l’influence
Alors que la seule influence (pull = pull) que vous avez, c’est de la paille (wool = laine) dans les yeux
Obtenir des connaissances en prison est une bénédiction masquée

Talib évoque la violence entre noirs pour une question d’influence et attire l’attention sur la débilité de ce phénomène vu que ça ne permet à personne d’avancer. Il fait un jeu de mot intelligent avec le ‘pull’ et le ‘wool’ qui rend la compréhension difficile en français. Talib Kweli raconte que certains finissent en prison et commencent enfin à devenir plus sages en s’éloignant de la rue et en acquérant des connaissances. Tout comme le Hip-Hop conscient qu’ils revendiquent peut le permettre.

 

Regardez dans le ciel à la recherche de Dieu, ce que vous voyez à côté du brouillard
Ce sont des rêves brisés qui s’envolent sur les ailes de l’obscène
Des pensées que les gens mettent en l’air
Des endroits où l’on peut être assassiné pour un simple regard
Mais tout est juste
C’est un paradoxe qu’on appelle la réalité
Donc, rester dans la réalité vous rendra victime d’une normalité anormale

Réalité et rêve s’entremêlent chez les membres de Black Star. Une réalité parfois violente qui s’élève grâce au Hip-Hop. L’oxymore « normalité anormale » montre à quel point cette réalité est paradoxale ballotée entre violence et rêve.

 

Certains gars rappent pour illustrer ce que nous voyons
Difficile d’être un être spirituel
Quand la merde secoue ce en quoi vous croyez
Ma tension artérielle est montée en flèche
Parce que les gars de New York font les gâtés aux concerts

Leur rap conscient est une activité spirituelle qui dissipe le brouillard et qui permet de supporter certaines déceptions. Talib s’en prend également aux rappeurs qui font les stars devant leur public au lieu de profiter de ce moment pour montrer la réalité du ghetto.

 

Common

Au coin de la rue, je regardais mon ancien quartier
J’ai senti un esprit dans le vent, j’ai su que mon ami était parti pour de bon
J’ai jeté de la terre sur le cercueil, la douleur, je ne pouvais pas la masquer
Je mélangeais les émotions, une lutte que je n’avais pas maîtrisée

Common conclut la chanson en reprenant le thème de la spiritualité et de la nature. On comprend alors que la musique permet d’exprimer des émotions écrites et mixées comme les Mcs le font dans leurs chansons. La musique permet tout autant de supporter la mort d’un ami comme c’est le cas de Common.

 

Certains jours, je prends le bus pour rentrer chez moi, juste pour me poser
De la piaule où j’ai passé des mois, assis près de la fenêtre
Ecoutant les minettes s’engueuler
Des jeunes filles à l’esprit faible, mais au cul ferme
J’ai essayé d’appeler, ou du moins de biper le Seigneur, mais je n’avais pas de tonalité

Common nous raconte sa routine de citadin qui prend le bus et qui regarde le paysage tout en écoutant les conversations autour de lui. Il se dit que quelqu’un devrait agir mais n’arrive pas à atteindre Dieu malgré ses prières.

 

C’est un monde où c’est chacun pour soi, tu dois t’accrocher
Une partie de cette terre doit m’appartenir, ils veulent nous voir partir hors de la ville
Ils démolissent les immeubles pour créer des maisons luxueuses

Common et les afro-américains sont esseulés et ne sont pas les bienvenus à New York. On veut les foutre dehors pour les remplacer par des habitants riches alors qu’on ne leur a jamais donné la possibilité de réussir leur vie.

 

Pochette de Respiration de Black Star et Common
Pochette de Respiration de Black Star et Common

Dans ce morceau iconique, Talib Kweli, Mos Def et Common reviennent sur la vie à New York dépeinte comme dynamique mais aussi marquée par la violence. Les rappeurs utilisent le registre du rêve pour montrer à quel point la frontière entre rêve, réalité et cauchemar est mince car New York est bien la ville de tous les extrêmes et de tous les possibles. Leur flow régulier vient renforcer le côté tranquillisant de l’instrumentale. Cette chanson est un manifeste à la réflexion et à la paix.

 

De quoi ça parle? est la section d’Adramatic Hip-Hop dans laquelle vous retrouverez une analyse textuelle détaillée d’un son ainsi que la traduction de ses passages clés afin d’en extraire l’histoire qu’il raconte.