La majorité des causes de mortalité chez les rappeurs n’a rien à voir avec la violence, et il est temps de trouver une solution pour préserver nos légendes.
En l’espace de neuf mois, le hip-hop a perdu MF Doom, DMX, Black Rob, Shock G, Gift Of Gab, et maintenant Biz Markie. Ils avaient respectivement 49, 50, 52, 57, 50 et 57 ans. Les fans ont à peine eu le temps d’afficher leur reconnaissance pour un rappeur décédé que le suivant est déjà mort. Je ne m’attarderai pas ici sur les détails spécifiques de leur mort, parce que les raconter est douloureux. D’ailleurs, ce n’est pas un éloge funèbre. C’est un plaidoyer.
Pendant un certain temps, les fusillades mortelles de Tupac Shakur et de The Notorious B.I.G. ont semblé avoir un effet dissuasif sur le hip-hop, marquant une limite à ce qui était une cause acceptable de décès pour des rappeurs emblématiques qui ont changé la donne. Mais quand on meurt avant l’âge de 60 ans, il n’y a pas de causes de décès acceptables. Il y a des causes, mais on ne peut pas raisonner avec elles. Elles n’ont aucun sens.
Des supers héros qui n’en sont pas
C’est probablement la raison pour laquelle les théories de conspiration sur les décès susmentionnés dans la communauté hip-hop sont si nombreuses. Ceux qui connaissaient les défunts veulent croire qu’ils auraient pu les sauver grâce à un coup de fil, une intervention, ou en permettant à une icône en difficulté dormir sur leur canapé pendant une semaine. Ceux qui ne les connaissaient pas refusent de croire que quelqu’un d’aussi exceptionnel ait pu être terrassé par la même chose qui a tué l’une de leurs connaissances l’année dernière. Comme pour la mort de toute personne qui a eu une influence sur nos vies, nous ne voulons pas qu’elle disparaisse. Même si nous ne pensions pas toujours à elles de leur vivant, nous espérions inconsciemment qu’au moins, elles vieilliraient.
En tant que fans, dans notre cœur, nous figeons nos idoles à un âge basé sur leurs pochettes d’album ou aux posters que nous accrochions à nos murs. Dans notre esprit, nous savons que si nous vieillissons, ils doivent le faire aussi. Et lorsque nous les croisons au hasard d’un moment sur les réseaux sociaux, nous devons reconnaître que nos esprits avaient raison. Ils ont les cheveux gris. Leurs visages portent les marques d’une vie vécue dans la difficulté et le succès. Ils ont vécu assez longtemps pour moins s’inquiéter de l’endroit où se déroule la soirée à ne pas rater, et plus de la façon de payer les factures.
Les causes de la mortalité chez les rappeurs
Malgré le défilé désormais courant (bien qu’erroné) de conspirations après les décès de rappeurs – affirmant que Diddy était responsable de la mort de Black Rob, ou que DMX a été tué à cause d’un vaccin anti-covid – il n’y a pas vraiment de logique ou de raison pour savoir qui meurt quand. Il y a cependant des indicateurs. Chaque année, un ou deux rappeurs de renom décède(nt) de mort violente. Pourtant, contrairement à leur réputation, les artistes hip-hop (les vrais artistes, pas ceux dont on apprend l’existence lorsqu’on annonce leur décès) ne meurent généralement pas sous une pluie de balles. Les causes réelles sont plus courantes, plus prosaïques: la consommation de drogues, la pauvreté, la dépression, le fait d’être sans abri et les maladies de longue durée non traitées sont à l’origine de la plupart des décès liés au hip-hop que nous avons connus depuis les 90’s.
Biz Markie est mort à 57 ans.
Shock G est mort à 57 ans.
DMX est mort à 50 ans.
Gift Of Gab est mort à 50 ans.
MF DOOM est mort à 49 ans.
Guru est mort à 48 ans.
Craig Mack est mort à 47 ans.
Tim Dog est mort à 46 ans.
Phife Dawg est mort à 45 ans.
Heavy D est mort à 44 ans.
Prodigy est mort à 42 ans.
Nate Dogg est mort à 41 ans
Lord Infamous est mort à 40 ans.
Pumpkinhead est mort à 39 ans.
Roc Raida est mort à 37 ans.
MC Breed est mort à 37 ans.
Poetic est mort à 36 ans.
Ol’ Dirty Bastard est mort à 35 ans.
Baatin est mort à 35 ans.
Mac Daddy est mort à 34 ans.
Pimp C est mort à 33 ans.
J Dilla est mort à 32 ans.
DJ Screw est mort à 29 ans.
Eyedea est mort à 28 ans.
Big Pun est mort à 28 ans.
Mac Miller est mort à 26 ans.
Aucun de ces décès n’est de nature criminelle.
Combien de rappeurs seraient encore là si l’assurance maladie faisait partie du contrat de leur label? Et si la retraite des rappeurs était gérée comme celle de la plupart des sportifs de haut-niveau, planifiée et avec une certaine reconnaissance?
La fin du succès, le début des difficultés financières
En général, les rappeurs ont deux morts. D’abord, ils perdent en popularité, puis ils sont négligés. La plupart des pionniers du hip-hop qui se sont fait connaître dans les années 1980 et 1990 ne sortent plus d’albums régulièrement, voire plus du tout, et ils ne reçoivent certainement pas les mêmes chèques qu’à leur apogée. Sortir de la musique et en vivre est désormais considéré la plupart du temps comme réservé aux jeunes artistes qui plaisent à la jeunesse actuelle. Les méandres de l’industrie musicale sont trop dangereux pour risquer une réputation qu’ils ont réussi à se tailler après tant de tentatives.
C’est un témoignage du talent des bâtisseurs du hip-hop d’avoir pu faire autant avec si peu, et à un si jeune âge. Si le message des singles « Self Destruction » et « We’re All in the Same Gang » vous semble un peu archaïque aujourd’hui, constatez que l’âge moyen actuel des rappeurs qui ont participé à ces chansons est de 52 ans.
Prendre soin de nos artistes
Soyons réalistes: beaucoup de rappeurs ne s’attendaient pas à vivre aussi longtemps, et il y a quelque chose dans cette prise de conscience que tous ceux qui aiment cette forme d’art devraient combattre. Un grand pourcentage des contenus des chansons rap glorifie la mort et la rue, donc ce ne sera pas un travail facile, mais c’est un travail qui doit être fait si nous ne voulons pas continuer à poser des fleurs pendant des décennies avant de pouvoir faire face aux conséquences. Le rap n’est plus tout jeune. Nous verrons d’autres légendes précieuses rejoindre ce trop grand compteur dans le ciel.
Le hip-hop est en train de mourir, et il ne meurt pas. Il meurt comme toutes les choses fondamentales pour faire place à la nouveauté. Donc, le hip-hop se déleste. Et bien que les albums et chansons enregistrées par des artistes qui ne sont plus là les rendent immortels vu qu’on continuera toujours à les écouter, ce n’est plus suffisant, du moins pour le moment. Il faut préserver les artistes qui créent ces musiques les rendant immortels. Il est temps pour le hip-hop de se familiariser avec le concept d’héritage d’une manière qui honore réellement les artistes qu’il soutient avant que plus personne ne les soutienne.
Nous devons trouver des moyens de préserver non seulement les héritages, mais aussi les personnes. Sinon, dans 20 ans, les praticiens de l’art ne ressembleront plus du tout à ceux qui l’ont créé. Et après seulement 50 ans d’histoire, il n’y aura plus de pionniers pour expliquer pourquoi c’est un problème.